Tous les bénéfices de la vente de livres et une grande partie de ceux de la tournée vont pour les œuvres de Jacques en Inde et au Népal en particulier Humanitaire Himalaya
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UN ENTRETIEN AVEC LE: DOCTEUR JACQUES VIGNE
PSYCHIATRE
"La vévitable maladie est l'absence du désir d'évoluer. La première fonction d'un maître spirituel est de réveiller et de renforcer ce désir."
Qui êtes-vous Dr Vigne et quelle a été votre démarche avant de partir en Inde ?
Je m'intéresse au Yoga depuis longtemps. Je me souviens que lorsque j'avais huit ans, je possédais un dépliant et des photos représentant un certain Monsieur Mahesh et que je regardais avec intérêt. A dix-sept ans, je me suis mis au Yoga. J'ai demandé à mon père s'il connaissait des livres à ce sujet. Il me répondit: "Le mieux, c'est que tu pratiques, sans livre." J'ai donc pratiqué à l'université. pendant une année, puis j'ai interrompu. J'ai repris depuis dix-sept ou dix-huit ans. J'ai commencé par le Hatha Yoga et au bout de trois, quatre ans, je me suis tourné vers la méditation.
C'ette pratique peut se faire n'importe où, elle n'est pas réservée à l'Inde. Alors pourquoi avoir choisi l'Inde ?
Pendant longtemps, j'ai pratiqué le Yoga en France. Après avoir fait mon temps de coopération en Algérie j'ai pensé qu'il serait bon d'aller en Inde. Une fois là-bas, je me suis aperçu que ma pratique était meilleure, plus facile parce que je me trouvais coupé de ma profession de psychiatre et de mon milieu habituel. Je pouvais donc profiter de la solitude, ce qui me plaisait. En effet, j'avais déjà acquis une certaine pratique de la méditation en ayant eu des contacts avec la vie monastique. Je comprenais donc l'intérêt de cette solitude.
Votre départ en Inde pour rechercher quelque chose qui vous convienne n'était-il pas aussi une sorte de réaction ?
Certainement, il y avait en moi une réaction. Le fait de s'intéresser aux choses spirituelles tout en étant étudiant en psychiatrie fait prendre conscience que quelque chose d'important manque. Avec le jeu des rotations d'internes et le choix selon l'ancienneté, j'étais destiné à choisir, en premier, I'internat en psychiatrie en région parisienne. J'hésitais: partir en Inde ou rester et continuer '? Je n'ai pas attendu la fin de mon internat et j'ai demandé à être mis en disponibilité. Finalement, je suis parti à Bénarès. Pourquoi rester à Paris quand j'étais si bien en Inde avec une bourse d'étudiant'? J'écrivis donc à mon chef de service pour lui annoncer ma décision de rester à Bénarès.
Cela dit, je suis diplômé de la faculté de psychiatrie, ce qui me permet de m'installer quand je le voudrai. Je n'ai pas terminé mon internat parce que j'ai senti, après avoir été en Inde, que la carrière de psychiatre hospitalier n'était pas ma vocation.
Ce que vous avez appris en Inde, les notions que vous y avez découvertes n'ont-elles pas perturbé le "côté chrétien" de votre personnalité, compte tenu de votre famille, de votre éducation et de votre milieu ? Il m'a toujours semblé qu'un chrétien restait chrétien même si, à l'intérieur de lui-même, il prenait ses distances.
Mon cas est un peu particulier. En Inde, j'ai suivi et continue de suivre l'enseignement spirituel de Vijayananda que vous avez connu ici. Il était de tradition juive. Son père était mort et son beau-père était le grand rabbin de Marseille. Il a donc reçu une éducation religieuse, il parle hébreu et yiddish. Mais il devint athée au cours de ses études de médecine, la religion ne l'intéressait plus. Il revint toutefois à la religion mais dans la perspective bouddhiste et hindouiste. Puis il devint disciple de Ma Anandamayi.
Maintenant, quand on lui demande quelle est son identité religieuse, il ne dit pas qu'il est juif, boudhiste ou hindou mais qu'il est dans un état au-delà des religions. Si quelqu'un d'ordinaire me disait cela, je resterais sceptique. En revanche, Vijayananda a passé dix-sept ans dans l'Himalaya, comme solitaire, il a donc prouvé le courage nécessaire pour suivre cette voie. Il suit le Védanta, mais un Védanta très purifié qui se situe au-delà de toute forme religieuse.
J'ai tenté de faire sentir ceci dans mon deuxième livre, 'Eléments de psychologie spirituelle", à savoir: qu'il existe vraiment un état au-delà des religions qui n'est pas un rêve, mais bien une expérience précise.
Je vous suis tout à fait. Cependant vous savez bien que le Vedanta n'est pas une religion. La notion religieuse n'y existe pas et il ne comporte pas de dogme. Mais ce qu'il dit ne peut être remis en question. Pourtant il laisse à l' individu toute liberté dans sa recherche. Quelle que soit sa naissance ou son appartenance religieuse, le Vedanta est, je crois, la seule voie qui ouvre à l'homme l'accès à la recherche de lu vérité fondamentale en lui permettant de garder sa religion, ses conceptions, son mode de vie.
Chacun a sa propre vision, et il n'a jamais été dit nulle part qu'une voie était fausse. Par ailleurs, I'être humain est attaché à son environnement social, culturel et religieux. Cela est normal car il a besoin de se sentir rattaché à quelque chose. Votre maître a-t-il dépassé cet attachement fondamental pour atteindre un niveau au-delà des religions ?
Tout à fait. On lui a posé la question et il l'a affirmé. Je l'ai vérifié par moi-même au cours de ces sept années et en particulier cette année-ci où je l'ai vu pratiquement tous les Jours.
Les gens qui viennent chez lui appartiennent à des horizons religieux très divers. Un hindou et un chrétien ont des demandes très différentes. En Occident, il y a toutes sortes de confessions religieuses et beaucoup d'athées aussi. Il peut s'adresser à chacun sans faire référence à son appartenance religieuse sauf de temps en temps, avec la Bible par exemple, le Yoga ou le Vedanta, mais il le fait sans que je sente la moindre identification à sa base religieuse.
Qu'avez-vous trouvé en Inde ? Est-ce que l'Inde et ce que vous en avez vécu: les contacts, en particulier avec votre maître, les rencontres, vous ont transformé ?
Je suis parti en Inde par intérêt personnel et pour mes livres. J'y ai fait deux grands voyages pour rencontrer des disciples, des gurus, m'étant renseigné auparavant sur leur authenticité. Cela m'a beaucoup apporté. En France, j'avais lu des ouvrages sur le Yoga mais j'en était resté au stade livresque. A partir du moment où j'ai vécu en Inde, le Yoga est devenu pour moi une série de visages, de maîtres que j'avais rencontrés, de gens qui l'avaient vécu profondément et cela m'a beaucoup aidé.
Qu'exprimez-vous dans votre livre "Eléments de psychologie spirituelle '' ?
Il me fallait être compréhensible pour le public français. Celui-ci est intéressé par la psychologie et la psychanalyse mais aussi par le christianisme. J'ai donc consacré une partie de mon ouvrage sur ces deux premiers aspects, une autre sur le troisième en essayant de situer mon expérience présente. Je suis un adepte du Vedanta donc je n'utilise pas consciemment, dans ma méditation, de notion de psychologie occidentale ou de notions du christianisme. Cependant, au regard de mes lecteurs, j'ai pensé qu'il fallait établir un lien avec la psychologie et le christianisme. C'est, en fait, mon propre itinéraire que j'ai retracé mais de manière impersonnelle, en indiquant quelles furent les idées par lesquelles je suis passé.
Que peut-on retenir de ce nouveau livre ? Quelle place y occupe la dévotion, élément si important dans tout itinéraire spirituel en Inde, en tant que notion chrétienne et en tant que notion indienne ?
La dévotion est un phénomène fondamental dont j'ai parlé, à propos de la guru bhakti dans mon premier livre "Le Maître et le Thérapeute', (1). Dans un chapitre, je développe le rapport qui existe entre la notion de dévotion indienne et le tranfert en psychologie. On dit que le transfert est le moteur de la cure, le moteur de la thérapie. Je pense que, dans la relation avec le guru, la guru bhakti est le moteur qui permet que l'on fasse une sadhana (2), que l'on abandonne tout attachement au monde pour se centrer sur le guru en tant que personne, puis en tant que fonction et en tant que manifestation de l'impersonnel.
(1) Premier livre du Dr Jacques Vigne présenté dans Yoga et vie n° 71 . "Le Maître et le Thérapeute" Ed. Albin Michel spiritualités vivantes 1991.
(2) "Le mot sadhana signifie réalisation, moyen employé pour obtenir une fin. Il implique toutes les voies par où l'on s'améliore soi-même." Swarmi Siddhesvrarananda "Pensée indienne et mystique carmélitaine Ed. Centre Védantique Ramatrishna 1974.
Il semble que la dévotion, telle qu'on l'observe aujourd'hui, comporte une certaine limite, tandis que la Bhakti, dans la conception indienne, est illimitée, inconditionnée et par conséquent, ne peut rentrer dans un cadre. Elle vient du c?ur où elle réunit maître et élève. Quel sens donnez-vous au mot "dévotionnel" dans la conception occidentale ? Pour les hindous, c'est le coeur qui joue le rôle déterminant; pour les occidentaux, il semble que ce soit l'intellect.
Ce qui me semble important du point de vue de la psychologie spirituelle telle que je la comprends, c'est le caractère illimité de la dévotion. La psychologie habituelle est très limitée et limitante. L'une des caractéristiques fondamentales de la psychologie spirituelle est de parler de cet "illimité" qu'elle amène à expérimenter par la pratique au moyen de deux voies: la voie de la dévotion et la voie de la connaissance.
Il est vrai que la dévotion des Occidentaux est limitée. J'en ai parlé avec Vijayananda qui a vu beaucoup d'occidentaux en Inde et qui, lui-même, voue une grande dévotion à Mâ Anandamayi. Au début, sa dévotion était très émotionnelle. On m'a raconté que la venue de Mâ Anandamayi avait été annoncée. Vijayananda s'est précipité pour la voir. C'était, finalement, une fausse nouvelle. Elle n'était pas là. Vijayananda perdit connaissance, si intense était son désir de la voir.
Vijayananda m'a dit que, selon ce qu'il a observé en Inde, les Occidentaux, au début, croient puis le doute vient. Cela s'explique parce qu'ils n'ont pas une foi absolue dans le mantra (3) ni dans leur guru alors que les Indiens ont cette foi.
(3)"Le mantra est une présentation objective du divin sous la forme vibratoire du son... Il faut l'avoir reçu d'un guru qui l'aura lui-même reçu d'un maître.... Nous considérons que le mantra enferme la divinité... Sans un ardent amour pour Dieu, le mantra est inefficace''. (Idem)
Nous autres, Indiens, nous ne "recherchons" pas le Guru. Contrairement aux Occidentaux qui viennent le chercher en Inde et qui, lorsqu'ils l'ont trouvé, I'abandonne pour un autre si le premier ne leur convient pas, nous acceptons celui qui se présente, en tant que représentant de l'Ishtadevata (4)
(4) Ishtadevata: divinité personnelle à chaque dévot.
Il y a un aphorisme en Inde qui dit que, lorsque le disciple est prêt, le guru arrive. Je pense que ceci est fondamental et je l'ai mis en exergue dans l'une des parties de mon livre "le Maître et le Thérapeute". Mais que veut-dire se préparer ? Pour des débutants, cela peut vouloir dire aller auprès de personnes qui prodiguent un enseignement spirituel. Mais cela implique un état intérieur correspondant. Je le constate au sujet de Vijayananda. Lui ne veut rien. Des personnes qui ont travaillé sur elles-même viennent le voir avec le désir de recevoir un enseignement spirituel. Cet enseignement sort de lui naturellement sans qu'il y ait forcément de relation de maître à disciple qui s'établisse.
Mais ces personnes ont reçu ce dont elles avaient besoin, en restant quelque temps auprès de lui, parce qu'elles sont mûres à ce moment-là. On pourrait comparer cela au phénomène des vases communiquants, en ce sens que cet échange se passe spontanément.
Quels sont vos projets futurs ? Quel conseil donnez-vous à ceux qui partent faire une recherche en Inde ?
J'ai une vocation particulière de solitude. Le fait de ne pas me trouver dans mon environnement culturel favorise cette solitude, ce qui pour moi est très important. Je conseillerais aux Occidentaux d'aller en Inde de temps en temps, pour profiter de contacts spirituels tout en continuant leur sadhana dans leur pays d'origine. J'ai vu beaucoup de personnes procéder de la sorte, venir à l'ashram de Mâ Anandamayi et en retirer beaucoup de bienfaits. Je pense qu'il faut savoir profiter des avantages de notre civilisation dans le bon sens, par exemple il est devenu si facile de se déplacer.
Comment comprenez-vous les mots de Madame Françoise Dolto: "Le non-désir, c'est la mort." ?
Je pense qu'elle reprend l'idée classique des psychologues et qui est partagée par beaucoup: ce qui fait tourner la vie, c'est le désir. Mais j'ai tourné cette idée dans le sens spirituel: le désir, c'est aussi la vie, mais un désir particulier, le désir de libération qui anime toute vie spirituelle et qui brûle tous les autres désirs.
Quand il n'y a pas ce désir, il n'y a pas de vie spirituelle. La psychologie habituelle s'intéresse aux gens qui sont à un niveau de base, qui fonctionnent avec le désir habituel. Il y a toute une alchimie à faire pour transformer ces désirs habituels en désir de libération. La Bhagavad Gita le répète maintes fois et on ne peut y échapper: le chemin passe par le non-désir. Cela est affirmé aussi bien dans la tradition hindoue que chrétienne, dans l'hésychasme (5) en particulier qui est basé, lui aussi, sur la paix et le non-désir.
C'est là la différence fondamentale entre psychologie ordinaire et psychologie spirituelle.
(5) Hésychasme: méthode de prière pratiquée par les Moines du Mt Athos. Elle joint la récitation d'une formule ''Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi" à la respiration pour fixer l'attention et ainsi être amené à la prière continuelle et à la garde du coeur.
Brahmananda, un disciple de Ramakrishna, parlait d'un certain nombre de phénomènes concernant l'au-delà et la mort. Or vous parlez beaucoup du silence et du vide intérieur, que les Occidentaux semblent assimiler à la mort et dont ils ont peur. N'y a-t-il pas là une méprise dans cette peur du silence ?
Ce n'est pas facile pour les gens ordinaires d'accepter le silence et le vide. Pour les psychologues, c'est encore plus difficile car ils ont l'exemple de la schizophrénie où les gens perdent pied quand leur ego se dissout de manière pathologique. Quand on parle de silence où l'ego peut se dissoudre comme une poupée de sel dans l'océan, cela évoque immédiatement pour les psychothérapeutes la schizophrénie et ils ont très peur. Mais quand on prend l'habitude de voir les choses "spirituellement", on s'aperçoit qu'en fait il y a peu de raison d'avoir peur surtout quand on regarde les maîtres spirituels qui un ego extrêmement ténu et qui vivent mieux la relation avec autrui que les personnes dont l'ego est fort. La spiritualité est donc tout à fait compatible avec les relations ordinaires de la vie courante.
Il n'est pas facile de comprendre que, lorsque l'on calme le mental, on accède à un état de grand bonheur (ananda). C'est cette expérience que j'essaie d'expliquer dans mes livres.
N'est-ce pas là l'une des teneurs de votre message: ne pas avoir peur du silence ni s'en faire une fausse idée ?
A ce propos, j'aimerais bien raconter une histoire pour conclure: quelqu'un avait perdu la clef de chez lui. Il demande à son voisin de venir l'aider à chercher la clef perdue. Il était midi, la chaleur était intense et le soleil de plomb. Après un certain temps, le voisin lui dit: "Essaie de te souvenir où tu aurais pu avoir perdu ta clef:"
Il répond: "Je l'ai perdue à l'intérieur de la maison. "Alors pourquoi cherche-t-on dehors ?
''A l'intérieur de la maison, il fait si sombre, dehors il fait si clair! "
(Propos recueillis par Shri Mahesh)